Misère des zones commerciales qui envahissent la France. Le dimanche, quand les foules se sont éparpillées, ces immenses espaces, pensés pour accueillir la multitude, se traînent, vides, abandonnés, ghost towns modernes en attente du lundi. Mon travail s’inscrit dans cette période d’apnée, où les structures surdimensionnées pensées pour la gestion des foules donnent soudain toute la mesure de leur étrangeté aride. Work in progress.
Voilà où j’ai grandi, peu ou prou. Une zone commerciale, la semaine, affluence, le samedi, déferlante, le dimanche, le désert, et alors ce macadam, à perte de vue, était à nous, à moi et à tous les autres gamins du quartier ; les bennes à ordures devenaient des coffres au trésor, les parking vides et hostiles des terrains de foot, on pouvait même jouer sur la route, il n’y avait personne de toute façon, qu’y ferait-on un dimanche ? Je me souviens qu’un jour même, on a trouvé un magasin en cessation d’activité dont personne n’avait pris la peine de fermer la porte – fabuleux terrain de jeu, caisses enregistreuses, courses de caddies, la peur au ventre et le rire aux lèvres.
Et puis on a grandi, et bientôt cette petite zone a été rejointe par une autre ; pour cela ils ont rasé le champ de maïs dans lequel on faisait des cabanes. Un Leclerc et sa cohorte de magasins satellites a atterri là. Puis une autre un peu plus loin, et encore une autre de l’autre côté de la ville. Au bout de quelques années c’est devenu presque drôle : toutes ces zones ! On n’était quand même pas si nombreux ! Alors forcément, le centre-ville n’a pas survécu, et aujourd’hui, c’est dimanche tous les jours dans la rue piétonne de Thionville, dont le triste beffroi garde des rues anormalement calmes.
Et puis on m’a dit que c’était comme ça un peu partout en France, et j’ai compris que le terrain de jeu de mon enfance avait quelque chose de vénéneux, avec ses parallélépipèdes de tôle ondulée sur socle de béton, vastes parkings et gigantesques distributeurs de caddie.
C’est avec un peu de nostalgie et de fascination et beaucoup d’étonnement face à ce grand désert de bitume et d’acier, que j’ai décidé de retourner le dimanche sur les parkings des zones commerciales, pour montrer la légère absurdité de ces endroits, vides de tout, d’âme surtout, de l’absence dominicale de leur 3 milliards de visites annuelles.